Dissymetrie des crises

Dissymetrie des pauses

Il y a quelque temps le monde découvrait, effaré, une situation de crise monumentale, d’échelle planétaire. Une crise comme l’homme n’en avait jamais connu auparavant : il était confronté pour la première fois à sa propre survie, non pas de manière ponctuelle et localisée, d’un groupe quelque part sur le globe comme on l’avait toujours observé, mais de manière extraordinairement globale. Toutes et tous étaient concernés, sans distinction, de race, de nationalité, de classe sociale ou de quoi que ce soit d’autre. Et ce jour-là, ce fut un spectacle magnifique que d’observer le monde se mettre en mouvement avec l’harmonie d’une famille unie, car, de cette crise globale allait découler un consensus mondial, autour du diagnostic certes, mais également autour de l’ambition à mettre dans la résolution de cette crise. Une maturité existentielle collective émergeait et transcendait tout. Une situation ultracritique et une réponse à la hauteur de la gravité de la crise. Et surtout, et c’est sans doute ce qu’il y a de plus important dans cette histoire, une réponse assez profondément uniforme à l’échelle de la planète, une compréhension universelle du problème et une réponse qui allait réunir l’ensemble des représentants de l’espèce humaine et de ses dirigeants, autour d’un même combat, un même dessein, pour leur survie. Une telle unité pourtant inimaginable quelques mois auparavant avait eu lieu, inimaginable !!! (Hormis peut-être au cinéma, pour faire face à une invasion extra-terrestre). Inimaginable également fut le niveau de cette réponse, aucune limite, aucun sacrifice ne pouvaient entraver cette détermination collective à surmonter cette crise inédite. Nous étions collectivement prêts à tout pour nous sortir de là.

Désolé !
Non, nous ne parlons malheureusement pas ici des crises environnementales et climatiques, ce sursaut n’a pas eu lieu. Désolé. Pourtant en écrivant ces lignes, et on imagine en les lisant, nous ne pouvons nous empêcher d’y penser et en y pensant, chérir ce jour béni où les planètes seraient enfin alignées - espérons-le avant que le drame ne soit totalement consumé – ce jour où le monde trouverait enfin la force et les ressources du renoncement. Par amour pour lui-même, par timidité vis-à-vis de l’univers, par peur du vide existentiel, ou tout simplement par gout pour la beauté, la beauté de la nature, la beauté de la nature dans les yeux d’un enfant... Oui, mais non, ça n’a pas eu lieu. Car on y pense puis on oublie, pour ne pas se faire trop mal, ou pour réussir à continuer à faire des enfants dans ce monde. On enterre ce fantasme, on l’inhume entre le grand soir de nos parents, et le vieux rêve d’explorer le centre de la Terre ou Proxima du centaure. On préfère l’inhumer parce que nous ne pouvons nous imaginer que ce scénario puisse devenir une réalité. Les gens sérieux le disent. Les écolos illuminés ne le disent pas, mais leurs yeux le crient. On ne peut l’imaginer, tant la complexité, tant les enjeux géopolitiques, tant les enjeux financiers, tant la bêtise humaine … seule expression d’une certaine uniformité dans notre identité, nous en empêcherait.

Dissymétrie des crises
Pourtant, ce scénario si flatteur, auquel nous n’osons même pas rêver, d’un monde qui se met harmonieusement en branle pour résoudre une crise planétaire existe. Oui, étrangement, et nous l’avons tous rencontré. Un jour de mars 2020, ce n’était pas le monde de la crise climatique, mais le monde de la crise sanitaire. Tout y était, et même plus. Le renoncement était total : on allait se confiner mondialement, ne plus aller à l’école, au théâtre, au travail, on allait se vacciner mondialement, on allait se masquer mondialement. Le monde allait se mettre en pause, ne plus voyager, se déplacer le moins possible, moins consommer, moins tout … Ce consensus inatteignable, ce fantasme fou étaient devenus réels. Personne n’aurait pu oser le penser et pourtant ça avait lieu. Alors pourquoi n’ose-t-on pas le penser pour l’environnement ? Comme si notre crise climatique et environnementale, celle qui anime tous nos combats, n’était pas assez belle, pas assez digne. Qu’elle ne méritait pas un consensus elle ! Qu’a-t-elle de moins que la crise sanitaire ? Elle n’enrichit pas ? Elle n’a pas de blouse blanche ? Elle est trop verte ? Il y a quelque chose de symptomatique à accepter un confinement mondial et un arrêt total de toutes les économies pour une vilaine grippe, et ne rien faire pour la crise environnementale et climatique. Symptomatique peut-être d’une vision de monde anthropocentrée sur un homme fini qui vit sur un espace fini et qui jalouse ce monde infini. Il est probable que secrètement, chaque homme espère que le monde s’arrêtera quand son cœur à lui s’arrêtera. Ce serait peut-être l’explication à tant d’inaction ? Objectivement, nous n’avons pas vu la dissymétrie du traitement de ces deux crises, nous n’avons pas réussi à la prendre pour ce qu’elle était, sans doute à cause de cette raison secrète. Mais nous la voyons aujourd’hui, la crise environnementale et climatique mérite la même ambition et le même consensus que la crise sanitaire du covid.

« La grande pause »
Ça commencera par une grande pause. Et il nous semble que cela se fête, car c’est une fête qui n’a rien de punitif qui s’annonce, c’est un festin ontologique orgiaque, on va s’en mettre partout. Un moment puissant, de retour à une existence au sens retrouvé. Et on va commencer par un confinement à l’envers : une grande pause positive. Une fête païenne et active qu’on renouvellera tous les ans pendant 3 mois.

Le monde du vivant s’effondre avec une rapidité et une fulgurance jamais vue. Pesticides, réchauffement, pollutions, les causes sont connues et les scientifiques l’affirment sans relâche, nous allons vers une catastrophe si on ne fait rien, si on reste sur la même trajectoire économique de consommation et de prédation sur le vivant.

Il faut tirer le signal d’alarme et stopper le train à grande vitesse PCP de la Production, Consommation, Prédation. Il faut d’urgence tout arrêter pour laisser respirer la nature. Comme au printemps 2020, celle-ci pourrait reprendre un peu ses droits (à l’exemple des poissons dans les eaux propres des canaux de Venise).

Mais à l’inverse du printemps de 2020, on ne reste pas confiné chacun chez soi, au contraire on marque tous une Grande Pause pour réfléchir collectivement et se prendre en main, car il faut s’alarmer de l’écart entre les promesses et les pratiques. Prendre conscience que la situation n’est pas entre de bonnes mains et que la technologie ou la croissance « verte » ne peuvent pas nous sauver. La puissance des lobbys financiers est trop forte, dévastatrice et dark.

Alors d’urgence il nous faut réfléchir ensemble, s’informer sérieusement de l’état de la planète (biodiversités, climat, carbone, pollution, océans, eaux, énergies…), et nous poser les bonnes questions sur la finalité de nos existences, comment voulons-nous vivre ? Il faut envisager un monde sans activités destructrices et aliénantes, inventer un nouveau paradigme, se donner les chances d’une nouvelle Renaissance, à travers la Culture et l’Art, domaines dans lesquels pendant la grande pause tout reste ouvert.

Pendant la Grande Pause, on agit pour redonner des espaces au vivant : (forets ensauvagées, haies replantées, surfaces désimperméabilisées …). On ne voyage plus, on se déplace un minimum et à plusieurs. On réduit à minima notre production et notre consommation. On achète plus de neuf, on recycle tout, on loue, on empreinte, on partage. On ne construit plus en dehors du déjà là, on répare tout ce qui peut l’être, on économise énergie, eau, alimentation...

On œuvre collectivement pour une sobriété assumée et heureuse. On partage les réflexions, les expériences alternatives, on en discute sans modération, forums, assemblés, associations, expérimentations … enfin !

La Grande Pause dure 3 mois, elle commence en 2024.

Nous proposons de réfléchir, pour trouver les modalités de mise en place de la Grande Pause et interpeler les politiques pour qu’ils comprennent son urgence absolue, maintenant.

Dissymetrie des crises, 2023

de Nicolas Michelin & Maxime Vicens

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